Transfiguration
Au commencement, il y avait la puissance intelligente, aimante et active. Au commencement, il y avait le Verbe souverainement capable de s’assujettir et de pétrir toute Matière qui naîtrait. Au commencement, il n’y avait pas le froid et les ténèbres ; il y avait le Feu. Voilà la Vérité.
Ainsi donc, bien loin que de notre nuit jaillisse graduellement la lumière, c’est la lumière préexistante qui, patiemment et infailliblement, élimine nos ombres. Nous autres, créatures, nous sommes, par nous-mêmes, le Sombre et le Vide.
Vous êtes, mon Dieu, le fond même et la stabilité du Milieu éternel, sans durée ni espace, en qui, graduellement, notre Univers émerge et s’achève, en perdant les limites par où il nous paraît si grand. Tout est être, il n’y a que de l’être partout, hors de la fragmentation des créatures, et de l’opposition de leurs atomes.
Esprit brûlant, Feu fondamental et personnel, Terme réel d’une union mille fois plus belle et désirable que la fusion destructrice imaginée par n’importe quel panthéisme, daignez, cette fois encore, descendre, pour lui donner une âme, sur la frêle pellicule de matière nouvelle dont va s’envelopper le Monde, aujourd’hui.
Je le sais. Nous ne saurions dicter, ni même anticiper, le moindre de vos gestes. De Vous, toutes les initiatives, à commencer par celle de ma prière.
Verbe étincelant, Puissance ardente, Vous qui pétrissez le Multiple pour lui insuffler votre vie, abaissez, je vous prie, sur nous, vos mains puissantes, vos mains prévenantes, vos mains omniprésentes, ces mains qui ne touchent ni ici, ni là (comme ferait une main humaine), mais qui, mêlées à la profondeur et à l’universalité présente et passée des Choses, nous atteignent simultanément par tout ce qu’il y a de plus vaste et de plus intérieur, en nous et autour de nous.
De ces mains invincibles, préparez, par une adaptation suprême, pour la grande œuvre que vous méditez, l’effort terrestre dont je vous présente en ce moment, ramassée dans mon cœur, la totalité. Remaniez-le, cet effort, rectifiez-le, refondez-le jusque dans ses origines, vous qui savez pourquoi il est impossible que la créature naisse autrement que portée sur la tige d’une interminable évolution.
Et maintenant, prononcez sur lui, par ma bouche, la double et efficace parole, sans laquelle tout branle, tout se dénoue, dans notre sagesse et dans notre expérience, – avec laquelle tout se rejoint et tout se consolide à perte de vue dans nos spéculations et notre pratique de l’Univers. – Sur toute notre vie qui va germer, croître, fleurir et mûrir en ce jour, répétez : « Ceci est mon corps. » – Et, sur toute mort qui s’apprête à ronger, à flétrir, à couper, commandez (mystère de foi par excellence !) : « Ceci est mon sang ! »
« LA MESSE SUR LE MONDE » – Teilhard de Chardin, 1923
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