La nature d'une civilisation, c'est ce qui s'agrège autour d'une religion.
Notre civilisation est incapable de construire un temple ou un tombeau.
Elle sera contrainte de trouver sa valeur fondamentale, ou elle se décomposera.
C'est le grand phénomène de notre époque que la violence de la poussée islamique.
Sous-estimée par la plupart de nos contemporains, cette montée de l'islam est analogiquement comparable aux débuts du communisme du temps de Lénine.
Les conséquences de ce phénomène sont encore imprévisibles.
A l'origine de la révolution marxiste, on croyait pouvoir endiguer le courant par des solutions partielles.
Ni le christianisme, ni les organisations patronales ou ouvrières n'ont trouvé la réponse.
De même aujourd'hui, le monde occidental ne semble guère préparé à affronter le problème de l'islam.
En théorie, la solution paraît d'ailleurs extrêmement difficile.
Peut-être serait-elle possible en pratique si, pour nous borner à l'aspect français de la question, celle-ci était pensée et appliquée par un véritable homme d'Etat.
Les données actuelles du problème portent à croire que des formes variées de dictature musulmane vont s'établir successivement à travers le monde arabe.
Quand je dis "musulmane", je pense moins aux structures religieuses qu'aux structures temporelles découlant de la doctrine de Mahomet.
Dès maintenant, le sultan du Maroc est dépassé et Bourguiba ne conservera le pouvoir qu'en devenant une sorte de dictateur.
Peut-être des solutions partielles auraient-elles suffi à endiguer le courant de l'islam, si elles avaient été appliquées à temps.
Actuellement, il est trop tard !
Les "misérables" ont d'ailleurs peu à perdre.
Ils préféreront conserver leur misère à l'intérieur d'une communauté musulmane.
Leur sort sans doute restera inchangé.
Nous avons d'eux une conception trop occidentale.
Aux bienfaits que nous prétendons pouvoir leur apporter, ils préféreront l'avenir de leur race.
L'Afrique noire ne restera pas longtemps insensible à ce processus.
Tout ce que nous pouvons faire, c'est prendre conscience de la gravité du phénomène et tenter d'en retarder l'évolution.
ANDRÉ MALRAUX, LE 3 JUIN 1956
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