Dès le début j'avais en moi le sentiment d'une destinée implacable, unique, comme si j'avais été placé dans une vie qu'il fallait accomplir. Il y avait en moi une sécurité intérieure dont je ne pus jamais m'apporter la preuve, mais qui m'était prouvée.
Ce n'est pas moi qui avais cette certitude; c'était elle qui me possédait malgré toutes convictions contraires. Personne ne put jamais m'enlever la certitude que j'étais placé là pour faire ce que Dieu voulait et non pas ce que moi je voulais.
Cela me donnait souvent l'impression, dans toutes les circonstances décisives, de ne pas me trouver parmi les hommes mais d'être seul avec Dieu. Toujours, quand j'étais "là-bas" où je n'étais plus seul, je me trouvais en dehors du temps. J'étais dans les siècles et celui qui donnait la réponse, c'était Celui qui avait toujours été là et qui y sera toujours. Les conversations avec cet "autre" étaient ce que je vivais de plus profond, d'une part lutte sanglante et, d'autre part, ravissement suprême.
De tout cela je ne pouvais naturellement m'entretenir avec quiconque. Je ne connaissais personne dans mon entourage à qui j'eusse pu faire des confidences, sauf éventuellement à ma mère. Sa façon de penser me paraissait semblable à la mienne.Mais bientôt je m'aperçus que sa conversation ne me suffisait pas. Elle m'admirait surtout et cela n'était pas bon pour moi: aussi restais-je seul avec mes pensées et c'est cela que je préférais au fond. J'ai joué seul, pour moi-même; j'ai marché à travers bois et rêvé seul, et j'avais pour moi seul un monde mystérieux.
Ma vie C.G.Jung, éditions Folio, p.90...
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