samedi 29 juillet 2017

LA POESIE ET LA MUSIQUE- CHRISTIAN BOBIN

La poésie capture les choses telles que Dieu les voit à l’instant où il les crée et où elles lui glissent des mains. Cette pointe de feu dans le langage, les chiffres s’en écartent. 

La pianiste, sortie du camp de rééducation, vit dans l’Occident riche où, dit-elle, tout est beaucoup plus dur que dans un camp. Personne ne veut entendre cette parole-là. 

Les hommes fermés ont fait main basse sur le langage. 
Les chiffres avancent, avancent.

Un jour nous lèverons la tête sur le ciel et nous ne verrons plus qu’un panneau d’affichage avec les prix d’entrée pour le paradis. La pianiste est parfois atteinte dans ses concerts d’une discrète fatigue. Se hausser sur le bout des pieds pour toucher le ciel étoilé, c’est fatigant. Elle oublie une note ou deux. La grâce la récompense. C’est une maladie mortelle que d’être professionnel jusqu’au bout des ongles.

Qu’est-ce que l’humain, sinon ce qui ne supporte pas les chiffres, le terrible savoir-faire ? Dans les tableaux du peintre De La Tour, la flamme d’une bougie représente l’âme. Elle éclaire des mains qui ont l’intelligence de ne rien faire. Des mains qui réfléchissent, on les dirait en cire. 

Le monde moderne n’est qu’une tentative de moucher la chandelle de l’âme, afin que brille dans le noir la seule brillance hypnotisante des chiffres. 
L’âme, vous savez, cette pianiste qui joue toujours la note d’à côté, que le monde ne veut pas engager parce qu’elle manque d’habileté et dont il dit : « enlevez moi ça, tout ira mieux sans elle »

Christian Bobin 

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