dimanche 4 novembre 2012

EXTRAIT DE L'HOMME JOIE

J'imagine quelqu'un qui entre au paradis sans savoir que c'est le paradis. Il a des inquiétudes, des projets. Il est très occupé. Un bruit de fer, un cliquetis d'épées l'accompagne. C'est si banal, la guerre. Et puis tout d'un coup il y a une lumière de neige sur un étang, et un oiseau aux ailes d'or fracasse les murailles du monde. C'est quelque chose d'inespéré. Quelques secondes suffisent, n'est-ce pas, pour vivre éternellement. "Nous sentons et nous éprouvons que nous sommes éternels" : cette pensée de Spinoza a la douceur d'un enfant endormi à l'arrière d'une voiture. Nous avons, vous et moi, un Roi-Soleil assis sur son trône rouge dans la grande salle de notre coeur. Et parfois, quelques secondes, ce roi, cet homme-joie, descend de son trône et fait quelques pas dans la rue. C'est aussi simple que ça.


Je n'aime que les livres dont les pages sont imbibées de ciel bleu - de ce bleu qui a fait l'épreuve de la mort. Si mes phrases sourient c'est parce qu'elles sortent du noir. J'ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie. Mon sourire me coûte une fortune. Le bleu du ciel, c'est comme si une pièce d'or tombait de votre poche et qu'en l'écrivant je vous la rendais. Ce bleu en majesté dirait la fin définitive du désespoir et ferait monter les larmes aux yeux. Vous comprenez ?

Christian  Bobin- l'homme joie

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