dimanche 8 novembre 2015

LA PORNOGRAPHIE ET SES DEGÂTS

REDON
Aleteia : Vous faites le constat d’une sexualité devenue sinistre sous l’effet de la pornographie devenue banale. Quelles difficultés les jeunes rencontrent-ils aujourd’hui dans l’appréhension de leur sexualité ?
Erwan Le Morhedec : Ces difficultés nouvelles découlent, de fait, de cette exposition à la pornographie. Au cours des dernières années, le porno est devenu accessible à tous, et jusqu’aux plus jeunes, à tout moment, par le seul moyen d’un smartphone. Là où, il y a encore 20 ans, il fallait avoir accès à Canal Plus, ce qui n’était pas forcément évident pour un jeune ado, ou à des cassettes vidéos, il suffit désormais d’une connexion 3G en tout lieu et à toute heure. Pour les plus jeunes, il est évident que les premières images auxquelles ils risquent d’être exposées peuvent les choquer durablement.
La découverte de la sexualité s’est toujours accompagnée de craintes de part et d’autre. Crainte de ne pas savoir, crainte de ne pas être à la hauteur. Or, aujourd’hui les jeunes découvrent la sexualité par le biais de pratiques toujours plus trash. Je souligne, dans mon livre, comme le discours commercial de cette industrie du porno traduit sans fard la réalité, que les interviews complaisantes de stars du porno et autres articles de presse « tendance » tentent de masquer : pour exister dans la masse du porno accessible en ligne, les sites doivent impérativement aller dans une sexualité toujours plus hard. L’un des acteurs du secteur évoquaient même dans Libération le fait que les sites qui lui rapportaient le plus étaient ses sites zoophiles, et c’était il y a bientôt dix ans.
Le résultat est à la fois que les garçons se croient obligés de reproduire ce qu’ils voient, voire se croient autorisés à le faire, sont susceptibles de croire qu’une fille qui refuse certaines pratiques est une fille qui fait des manières et, inversement, les filles peuvent craindre, en les refusant, de déplaire et d’être écartées. Cela induit une sexualité doublement violente, physiquement et psychologiquement. En outre, la tendance à la domination assez fréquente chez les hommes est totalement exacerbée dans ces films, dans lesquels les femmes ne sont là que pour assouvir les besoins des hommes. Lorsque les scènes ne sont pas explicitement violentes, le moins que l’on puisse dire est que la tendresse en est exclue. Cette sexualité anormale est en outre susceptible de créer des complexes ou des frustrations chez ceux qui ne comprendront pas pourquoi leur propre vie sexuelle n’est pas aussi débridée, pourquoi leur partenaire (ou leur conjoint) n’est pas comme dans les films.
Enfin, de nombreux travaux soulignent l’effet d’accoutumance, d’addiction qui, d’une part, peut conduire certains à une consommation effrénée de porno et à un véritable enfermement et, d’autre part, les conduit à de vraies incapacités physiologiques dans des situations sexuelles normales et hors d’une stimulation par des vidéos pornos.
Le pape François appelle à la joie quotidienne dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Comment entretenir cette joie dans un monde aussi morose et incertain que le nôtre paraît l’être ?
Les sondages soulignent de façon répétée que les Français se montrent majoritairement pessimistes pour le pays mais heureux à titre personnel. Je crois qu’il faut savoir accorder toute l’importance qu’il convient à ce bonheur personnel, aux bonheurs simples, qui n’est pas moins légitime. Le pape souligne dans cette exhortation comme le Christ lui-même a loué la beauté de la Création. Il faut savoir accueillir la beauté de la nature, celle d’un rayon de soleil dans la ville, d’un oiseau dans une haie, d’un passant qui vous croise en souriant à on ne sait quelle pensée. Il nous faut, bien sûr, prendre nos responsabilités dans le monde, mais ces temps-là sont indispensables pour nous permettre de le faire – ne serait-ce que pour savoir ce que nous voulons sauvegarder.
Il faut aussi savoir faire la part des choses dans la surinformation à laquelle nous sommes exposés. Nous passons notre temps à être soumis à des scandales, des injustices, des drames face auxquels nous sommes parfaitement impuissants qui nous impliquent malgré tout. Les sites d’information, contraints de faire du volume, nous bombardent de faits survenus dans des pays lointains de milliers de kilomètres, qui nous indignent ou nous attristent, mais auxquels nous serions bien incapables de changer quoi que ce soit même avec la meilleure volonté du monde. Il faut au minimum être conscients de cela et savoir, parfois, fermer nos fenêtres sur le monde extérieur – et notamment Internet et les smartphones – pour nous concentrer sur notre propre monde : nos proches, nos voisins, notre quartier.
Il faut encore éviter de cultiver le goût du déclin, ne pas écarter les infos positives, favorables. À titre d’exemple, un site comme sparknews.com, fondé par un Français, Christian de Boisredon, collecte les « infos de solution » : il témoigne que, s’il y a des problèmes, certains œuvrent aussi à trouver des solutions. Des journaux proposent aussi des pages spéciales sur des initiatives solidaires. À nous de savoir aussi leur accorder un peu de l’attention que nous apportons aux malheurs du monde. Il faut savoir aussi s’écarter des sites qui sont incapables de proposer de l’espoir, parce que cette vision est toute aussi fausse que l’est une vision angélique. Nombre de vos lecteurs ont chanté « même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or », que ce soit au scoutisme ou lors des récentes manifestations : il s’agit de savoir s’ils le chantaient sans y croire ou si cela a un sens pour eux.
Enfin, spirituellement, nous devons cultiver l’abandon. Nous devons faire notre part et remettre le reste entre les mains du Père. J’aime beaucoup les références du Christ aux oiseaux du ciel. Dieu les nourrit, Il s’occupe d’eux (à tout le moins que les hommes ne l’en empêchent pas). L’une des lectures du jour récentes était assez belle en ce sens : « Est-ce que l’on ne vend pas cinq moineaux pour deux sous ? Or pas un seul n’est oublié au regard de Dieu. À plus forte raison les cheveux de votre tête sont tous comptés. Soyez sans crainte : vous valez plus qu’une multitude de moineaux » (Luc 12, 7). Je pense souvent à ces paroles quand l’inquiétude me prend. Ne cédons pas à l’idéologie de la maîtrise : nous ne pouvons pas tout maîtriser, alors sachons nous abandonner parfois.

Koz toujours, ça ira mieux demain d’Erwan Le Morhedec. Cerf, septembre 2015, 19 euros.


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