jeudi 12 novembre 2015

LA VIE- LA MORT- CHRISTIAN BOBIN


Ce qui nous sauve, c'est ce qui nous arrache à nous-mêmes. La beauté d'une seule fleur vagabonde, le geste charitable et imprévu d'un autre être, un poème brillant comme du corail nous amènent loin de nous-mêmes, nous sauvent de notre existence endormie. Et, somme toute, de façon radicale, la mort ne fait rien d'autre. On peut la considérer aussi comme l'extase de la vie. Je précise immédiatement : à mes yeux, la mort n'est pas un banquet, une chose désirable, à rechercher. Mais on peut la penser comme une assomption, un fleurissement extrême, et je la vois ainsi. Cependant, elle me blesse. Elle m'enlève goutte à goutte, peu à peu, ce qui m'est le plus cher. Mais je ne lui en veux pas. J'ai ressenti les mêmes atteintes de la beauté de cette vie, et parfois de la mort. Mais l'atteinte de la mort est si profonde qu'elle peut faire hurler, amener les larmes et une désespérance, expériences que j'ai connues. J'arrive maintenant par la pensée à tenir la vie et la mort ensemble. Et il m'apparaît que le malheur de notre époque est d'avoir fait passer une muraille entre les deux, un barbelé infranchissable. C'est la raison pour laquelle la mort nous fait si peur et la vie nous semble moins précieuse. Cette dernière perd de sa force si on oublie qu'elle est fragile. C'est aussi la grâce de la mort, malgré tout, que de nous resserrer sur cette vie, qui est la seule que nous ayons. Dès que vous connaissez la grâce de cette vie, vous connaissez sa perte aussi, les deux sont liées. Si une fleur peut nous toucher autant qu'un humain, c'est en raison même de sa fragilité. Et sa fragilité, c'est sa mortalité. Les choses qui viennent à nous et nous bouleversent par leur beauté, nous bouleversent par l'annonce de leur mort. Elles sont d'autant plus belles qu'elles sont en train de passer. L'apparition et la disparition se font en un même instant. C'est comme le sourire sur les lèvres minuscules des nouveau-nés : à la fois fugace et éternel. La vie vient, elle nous dit : « Je m'en vais », et c'est à la fois terrible et merveilleux. La vie est le paradoxe même. Et si vous refusez de le voir, tout en est déséquilibré. 


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