mardi 7 juin 2016

L'HOMME JOIE- CHRISTIAN BOBIN


L'homme-joie est au bord d'être perdu, au bord d'être trouvé... (Immense éclat de rire)... C'est un titre de noble, une figure archétypale de l'homme à venir qui n'existe, en chacun de nous, que par intervalles. La joie dont je parle ici ressemble au sautillement, bref, suspendu, d'une enfant dans des flaques d'eau. Passagère, elle nous traverse le cœur par intermittence. Pourtant, étrangement, elle est plus nous que toute autre chose. L'enfant qui sautille convertit la petite malédiction de la pluie en jubilation, en jeu. Cette joie transforme toute malédiction en gaieté. C'est quelque chose vers lequel nous pouvons tendre, un soleil à venir. Il n'y a pas de règles, pas de recettes. La vie dispose de nous. C'est elle qui fait le travail. Pas nous. Quand cet état d'émerveillement et d'acquiescement à la vie, cette capacité à jouer avec elle, nous tombe dessus, on le sait. La spiritualité est du vif-argent, une floraison étonnante. Elle a de l'insolence, du charme, est toujours imprévue, ne se possède pas. Elle est un printemps hors saison qui pousse dans nos cœurs et qui ne dure qu'un temps. Et ce n'est pas grave. Le passage en nous de quelque chose de spirituel, le sentiment d'être pleinement vivant, nous permet de traverser la nuit du monde. Le monde et la nuit, c'est aujourd'hui à peu près la même chose. Il ne se passe pas de jours sans que l'on voie des dizaines d'étoiles tomber par terre. La spiritualité permet de traverser tout ça et de continuer. Mais toute définition est un enterrement de première classe. Je préfère évoquer la spiritualité en parlant de confiance, cet étrange sentiment, grâce auquel je sais que les moments d'enfermement ou de désespoir que je connais comme tout le monde sont temporaires et qu'autre chose arrivera ensuite. L'enfer sur terre est monotone et normé, un endroit assez conventionnel. Le paradis est tout sauf convenu. Tout y est sans arrêt nouveau ; d'une nouveauté de fleur de cerisier non commerciale. Chaque instant y est vécu comme étant le dernier. La vie est un trésor que nous gâchons. Si on regarde ce qui est autour de nous, de plus fragile, de plus banal, nous pouvons y voir quelque chose d'illuminant. Les mères le savent bien. Quand l'une d'entre elles se penche sur le berceau de son tout-petit en train de dormir, elle est une géante qui veille sur la course des étoiles. Ces choses-là, qui ne sont petites qu'en apparence, sont le meilleur de l'existence. L'esprit est la vraie trace de la vie en nous.
Chaque instant, chaque mot, chaque expérience sont pour vous à la fois mort et renaissance. Tout est possible à chaque instant ? Je le ressens comme ça. Rien n'est jamais perdu. La suite des jours et des nuits est comme une partie de jeu de cartes. On peut toujours la rejouer. La mort est peut-être la carte la plus belle. Le drame d'aujourd'hui est que le temps du cœur, beaucoup plus lent que le temps mesurable, n'est pas respecté, compris.

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