dimanche 2 octobre 2011

LE DESIR DES MASSES

Dans le règne de l'économie, les maîtres sont ceux qui disposent du pouvoir économique; ils sont du côté de l'argent - financiers, managers, chefs d'entreprise, grands manieurs d'investissement... Ils peuvent paraître n'obéir qu'à leurs intérêts ou leur ambition. Pourtant, ils doivent aussi, à leur façon, obéir. A qui? Dans le règne de m’économie, le Maître du maître, c'est le désir des masses. Car tout ce fonctionnement économique ne tient que par le profit, en tout cas la rentabilité; et la rentabilité, par la vente, directe ou indirecte; la vente, par l'achat, l'achat par l'acheteur, l'acheteur par son désir, qui le pousse à s'approprier l'objet de sa satisfaction.

Tout le système repose là-dessus: l'envie d'acheter. C'est pourquoi le « prêtre » de ce monde-là est le publicitaire, qui a pour fonction d'entretenir et stimuler les désirs « Saupiquet crée l'envie » !). Et à ces envies sans cesse croissantes sont proposées, en symétrie, des possibilités de satisfaction sans cesse croissantes elles aussi.
Qu'il s'agisse bien du Maître, c'est ce que révèle le fonctionnement de l'économie, et cette loi du marché qui en est le cœur : qui ne vend pas est condamné. A terme, c'est le meilleur produit au meilleur prix qui finit par gagner. La concurrence signifie que les plus puissants seigneurs sont soumis à ce désir de l'acheteur : la plus grande firme automobile ou de télé ou de médias ou d'informatique peut s'effondrer, si elle cesse d'obéir à cette loi: satisfaire le demandeur.
Prodigieux court-circuit ! Dans tant de sociétés, peut-être en toutes avant la nôtre, le Maître souverain exige que l'homme se hausse au-dessus de lui-même, il veut l'effort, le sacrifice, chez les maîtres sans doute, mais en la masse aussi, fatalement. Et dès que la situation devient dure, le sacrifice demandé aux masses croît vertigineusement. Grandissime exemple tout près de nous: la guerre de 1914.
Quant aux sociétés qui ,nous paraissent «jouisseuses», Bas-Empire ou Belle Époque par exemple, c'était en fait des sociétés où le plaisir était réservé aux maîtres et qui voyaient se creuser en elles l'abîme où elles ont sombré. Mais dans le règne de l'économie, tel que je l'évoque, c'est vraiment le désir des masses, c'est-à-dire en chacun le désir de chacun, qui devient ou tend à devenir le Grand Maître universel. Ainsi pour servir le souverain pouvoir, je n'ai qu'à consulter mes envies et tâcher de les satisfaire; et les puissants eux-mêmes sont là pour m'y aider.
Oui, prodigieux court-circuit. Finie la distance redoutable, écrasante, entre ce que je désire par ma pente naturelle et les exigences du Dieu, du Roi, du devoir, de la raison, de la patrie, de la révolution, de la famille, des générations à venir. Quand j'achète pour « jouir », je donne du travail, je sauve l'humanité! Tout ce qu'exige la fonction majeure est ramenée à ce dont l'individu a envie. L’ordre primordial coïncide avec l'explosion des envies individuelles.
On conçoit qu'un tel système puisse entraîner un formidable assentiment des masses - du moins tant que les maîtres servent ce Maître-là et qu'on en peut voir ou espérer les effets. Et les contestations et protestations contre les abus divers dont les maîtres se rendent coupables seront alors, non pas le début d'une révolution, mais au contraire l'adhésion renforcée à ce système, pour exiger qu'il marche.
Maurice Bellet

Question: Fonctionnera-t-il toujours? La crise actuelle permet d'en douter. Le pouvoir financier des petits ne permet plus d'assouvir le désir de...



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