DUCCIO
Seigneur, tu es le pauvre.
Tu es le pauvre, le dénué de tout, tu es la pierre qui roule sans trouver le repos, tu es le lépreux hideux dont on se détourne et qui rôde autour des villes avec son grelot.
Pas plus que le vent tu n'as de lieu et ta beauté cache mal que tu es nu et même le vêtement qu'un orphelin met en semaine est plus somptueux, car au moins il lui appartient.
Tu es un pauvre comme le besoin de naître d'un enfant dans une fille honteuse d'être mêre et qui serre son ventre au risque d'étouffer l'autre vie qu'elle porte et qui trésaille en elle.
Tu es pauvre comme une pluie printannière qui descend doucement sur les toits d'une ville et comme le seul voeu chéri d'un prisonnier au fond de sa cellule à jamais hors du monde.
Tu es pauvre comme les malades qui dans la nuit se retournent sans cesse et sont presque heureux et comme les fleurs entre les rails si tristes dans le vent confus des voyages et comme la main qui monte aux yeux pour cacher des larmes trop tristes.
Et que sont, devant toi, tous les oiseaux qui tremblent ? Qu'est-ce, devant toi, qu'un chien affamé ?
Qu'est-ce que pour toi la longue et silencieuse tristesse des bêtes abandonnées de tous dans la captivité ?
Et devant toi et ta misère, que sont tous les pauvres des asiles de nuit ? Ils ne sont que d'humbles cailloux, et pourtant comme la pierre de meule d'un moulin, ils donnent un peu de pain.
Mais toi tu es vraiment le pauvre, le dénué de tout, tu es le mendiant qui se cache la face; tu es la grande lumière de la pauvreté auprès de qui l'or semble terne.
RAINER MARIA RILKE
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